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20 avril, 2024

VINCENT DE PAUL,

SUPÉRIEUR GÉNÉRAL

DE LA CONGRÉGATION DE LA MISSION

A NOS CHERS FRERES EN JÉSUS CHRIST,

LES PRETRES, CLERCS,

ET COADJUTEURS LAIQUES DE LA MEME CONGRÉGATION

SALUT EN NOTRE-SEIGNEUR

Voici enfin, mes très chers Frères, voici les Règles ou Constitutions communes de notre Congrégation, que vous avez tant désirées, et si longtemps attendues. Il est vrai qu'on a laissé passer trente-trois ans ou environ. qu'il y a que notre Congrégation est instituée, sans que nous vous les ayons données imprimées: mais nous en avons usé de la sorte, tant pour imiter notre Sauveur Jésus-Christ, en ce qu'il a commencé à faire, plutôt qu'à enseigner, que pour obvier à plusieurs inconvénients, qui eussent pu naître de la publication trop précipitée des mêmes Règles ou Constitutions, dont l'usage et la pratique auraient ensuite paru peut-être ou trop difficiles, ou moins convenables. Or, notre retardement et procédé en ceci nous ont garantis, par la grâce de Dieu, de tous ces inconvénients; et ont fait même que la Congrégation les a peu à peu et suavement pratiquées, avant qu'elles aient été mises en lumière. Et en effet, vous n'y remarquerez rien, que vous n'ayez depuis longtemps mis en pratique, même avec une sensible consolation de ma part, et une mutuelle édification de vous tous.

Recevez-les donc, mes très chers Frères, avec la même affection que nous vous les donnons. Considérez-les, non comme produites par l'esprit humain, mais bien comme inspirées de Dieu, de qui tout bien procède, et sans qui nous ne sommes pas capables de penser quelque chose par nous-mêmes, comme venant de nous-mêmes : car, que trouverez-vous dans ces Règles, qui ne serve à vous exciter et enflammer ou à la fuite des vices, ou à l'acquisition des vertus, et à la pratique des maximes évangéliques? Et ç'a été pour cela que nous avons tâché, autant qu'il nous a été possible, de les puiser toutes de l'esprit de Jésus-Christ, et de les tirer des actions de sa vie, comme il est aisé à voir: estimant que les personnes, qui sont appelées à la continuation de la mission du même Sauveur, laquelle consiste principalement à évangéliser les pauvres, doivent entrer dans ses sentiments et maximes, être remplies de son même esprit, et marcher sur ses pas.

C'est pourquoi, mes très chers Frères, nous vous prions et conjurons par les entrailles de ce même Sauveur Jésus-Christ, de faire votre possible pour observer exactement ces Règles; tenant pour certain, que si vous les gardez, elles vous garderont, et vous conduiront avec assurance à la fin tant désirée, c'est-à-dire, à la céleste Béatitude. Ainsi soit-il.

 

JÉSUS, MARIE, JOSEPH.

 REGLES COMMUNES DE LA CONGRÉGATION DE LA MISSION

Chapitre I.

De la fin et de l'institut de cette Congregation

1. — La sainte Ecriture nous apprend que Notre-Seigneur Jésus-Christ ayant été envoyé au monde pour sauver le genre humain, commença premièrement à faire, et puis à enseigner. Il a accompli le premier, en pratiquant parfaitement toute sorte de vertus, et le second en évangélisant les pauvres, et donnant à ses Apôtres et à ses disciples la science nécessaire pour la direction des peuples. Et d'autant que la petite Congrégation de la Mission désire imiter le même Jésus-Christ Notre-Seigneur, selon son petit possible, moyennant sa grâce, tant à l'égard de ses vertus que de ses emplois pour le salut du prochain; il est bien convenable qu'elle se serve de semblables moyens pour s'acquitter dignement de ce pieux dessein. C'est pourquoi sa fin est: 1° de travailler à sa propre perfection, en faisant son possible pour pratiquer les vertus que ce souverain Maître a daigné nous enseigner, de parole et d'exemple; 2° de prêcher l'évangile aux pauvres, particulièrement à ceux de la campagne; 3° d'aider les ecclésiastiques à acquérir les sciences et les vertus nécessaires à leur état.

2. — Cette Congrégation est composée d'ecclésiastiques et de laïques. L'emploi des ecclésiastiques est d'aller, à l'exemple de Notre-Seigneur et de ses disciples, par les villages et bourgades, et y rompre le pain de la parole de Dieu aux petits, en prêchant et catéchisant; les exhorter à faire des confessions générales de toute leur vie passée, et les entendre au tribunal de la Pénitence; accorder les différends et les procès; établir la Confrérie de la charité; conduire les Séminaires érigés en nos maisons pour les externes, et y enseigner; donner les exercices spirituels; faire et diriger les conférences introduites chez nous pour les ecclésiastiques du dehors; et autres semblables fonctions, qui servent et sont conformes à notre Institut. Et quant aux laïques, leur emploi est d'aider les ecclésiastiques en tous ces ministères, en faisant l'office de Marthe, selon qu'il leur sera prescrit par le Supérieur, comme aussi en y contribuant par leurs prières, larmes, mortifications et bons exemples.

3. — Et pour que cette Congrégation parvienne, moyennant la grâce de Dieu, à la fin qu'elle s'est proposée, elle doit faire son possible pour se revêtir de l'esprit de Jésus-Christ, qui paraît principalement dans les maximes évangéliques, dans sa pauvreté, dans sa chasteté, dans son obéissance, dans sa charité envers les malades, dans sa modestie, dans la manière de vivre et d'agir qu'il prescrivit à ses disciples, dans sa conversation, dans ses exercices journaliers de piété, dans ses missions et autres emplois envers les peuples: toutes lesquelles choses sont contenues dans les chapitres suivants.

Chapitre II.

Des Maximes Évangeliques

1. — Avant toutes choses, un chacun tâchera de se bien établir dans cette vérité, que la doctrine de Jésus-Christ ne peut jamais tromper, au lieu que celle du monde porte toujours à faux: Jésus-Christ nous assurant lui-même que celle-ci est semblable à une maison bâtie sur le sable, et la sienne à un bâtiment fondé sur la pierre ferme; et partant la Congrégation fera profession d'agir toujours conformément à la doctrine de Jésus-Christ, et jamais selon les maximes du monde ; et pour ce faire, elle accomplira particulièrement ce qui suit.

2. — Jésus-Christ ayant dit: Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses, dont vous aurez besoin, vous seront données par-dessus; un chacun tâchera de préférer les choses spirituelles aux temporelles, le salut de l'âme à la santé du corps, l'honneur de Dieu à celui du monde, et, qui plus est, se résoudra fermement de choisir, avec l'Apôtre, la disette, l'infamie, les tourments, et la mort même, plutôt que d'être séparé de la charité de Jésus-Christ. Et partant il ne se mettra point trop en peine pour les biens de ce monde, ains jettera tous ses soins en la Providence de Notre-Seigneur, tenant pour certain que, tandis qu'il sera bien établi en cette charité et bien fondé en cette confiance, il sera toujours sous la protection du Dieu du ciel, et ainsi aucun mal ne lui arrivera, et aucun bien ne lui manquera, lors même qu'il pensera que tout va être perdu.

3. — Et parce que la sainte pratique qui consiste à faire toujours et en toutes choses la volonté de Dieu, est un moyen assuré pour pouvoir bientôt acquérir la perfection chrétienne ; chacun tâchera, selon son possible, de se la rendre familière, en accomplissant ces quatre choses: 1° En exécutant dûment les choses qui nous sont commandées, et fuyant soigneusement celles qui nous sont défendues; et cela toutes les fois qu'il nous appert que tel commandement, ou telle défense, vient de la part de Dieu, ou de l'Eglise, ou de nos Supérieurs, ou de nos Règles et Constitutions. 2° Entre les choses indifférentes qui se présentent à faire, choisissant plutôt celles qui répugnent à notre nature que celles qui la satisfont, si ce n'est que celles qui lui plaisent soient nécessaires: car alors il les faut préférer aux autres, les envisageant néanmoins, non du côté qu'elles délectent les sens, mais seulement du côté qu'elles sont plus agréables à Dieu. Que si plusieurs choses indifférentes de leur nature, également agréables ou désagréables, se présentent à faire en même temps, alors il est à propos de se porter indifféremment à ce qu'on voudra, comme venant de la divine Providence. 3° Et pour ce qui est des choses qui nous arrivent inopinément, comme sont les afflictions ou consolations, soit corporelles soit spirituelles, en les recevant toutes avec égalité d'esprit, comme sortant de la main paternelle de Notre-Seigneur. 4° Faisant toutes ces choses par le motif que c'est le bon plaisir de Dieu, et pour imiter en cela, autant qu'il nous est possible, Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui a toujours fait les mêmes choses, et pour la même fin, ainsi qu'il le témoigne lui-même: Je fais, dit-il, toujours les choses qui sont selon la volonté de mon Père.

4. — Notre-Seigneur Jésus-Christ demandant de nous la simplicité de la colombe, qui consiste à dire les choses tout simplement, comme on les pense, sans réflexions inutiles, et à agir tout bonnement, sans déguisement ni artifice, ne regardant que Dieu seul; pour cela un chacun s'efforcera de faire toutes ses actions dans ce même esprit de simplicité, se représentant que Dieu se plaît à se communiquer aux simples et à leur révéler ses secrets, lesquels il tient cachés aux sages et aux prudents du siècle.

5. — Mais parce qu'en même temps que Jésus-Christ nous recommande la simplicité de la colombe, il nous ordonne d'user de la prudence du serpent, laquelle est une vertu qui nous fait parler avec discrétion; c'est pourquoi nous tairons prudemment les choses qu'il n'est pas expédient de dire, particulièrement si de soi elles sont mauvaises et illicites, et retrancherons de celles qui, en quelque façon, sont bonnes, les circonstances qui vont contre l'honneur de Dieu, ou peuvent porter préjudice au prochain, ou nous donner de la vanité; et pour ce que cette vertu regarde aussi, dans la pratique, le choix des moyens propres pour parvenir à leur fin, nous aurons pour maxime inviolable de prendre toujours des moyens divins pour les choses divines, et de juger des choses suivant le sentiment et le jugement de Jésus-Christ, et jamais suivant celui du monde, ni selon le faible raisonnement de notre esprit; et ainsi nous serons prudents comme les serpents, et simples comme les colombes.

6.— Tous étudieront soigneusement la leçon que Jésus-Christ nous a enseignée en disant : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur;  considérant que, comme il assure lui-même, par la douceur on possède la terre, parce qu'agissant dans cet esprit, on gagne les cœurs des hommes, pour les convertir à Dieu, à quoi l'esprit de rigueur met empêchement; et que par l'humilité on acquiert le ciel, où nous élève l'amour de notre propre abjection, nous faisant monter comme par degrés, de vertu en vertu, jusqu'à ce que l'on y soit parvenu.

7.— Or, cette humilité que Jésus-Christ nous recommande si souvent de parole et d'exemple, et à l'acquisition de laquelle la Congrégation doit travailler de toutes ses forces, doit avoir trois conditions, dont la première est de nous estimer avec toute sincérité dignes de mépris; la deuxième, être bien aises que les autres connaissent nos défauts et nous en méprisent; la troisième, cacher le peu de bien que Dieu fera par nous, ou en nous, dans la vue de notre propre bassesse, et si cela ne se peut, l'attribuer totalement à la miséricorde de Dieu et aux mérites des autres. Et c'est ici le fondement de la perfection évangélique, et le nœud de toute la vie spirituelle. Qui aura cette vertu obtiendra facilement toutes les autres; mais celui qui ne l'aura point sera dépouillé du bien même qui est en lui, et vivra dans des inquiétudes continuelles.

8. — Jésus-Christ ayant dit: Que celui qui veut venir après moi renonce à soi-même et porte sa croix tous les jours; et saint Paul ayant ajouté dans le même esprit: Si vous vivez selon la chair, vous mourrez; mais si par le moyen de l'esprit vous mortifiez les mouvements de la chair, vous vivrez; chacun travaillera de tout son possible à cela, savoir est, à une continuelle mortification de sa propre volonté, de son propre jugement, et de tous ses sens.

9. — Chacun renoncera pareillement à l'affection immodérée de ses parents. selon le conseil de Jésus-Christ, qui exclut du nombre de ses disciples tous ceux qui ne haïssent pas père, mère, frères et sœurs, et qui promet le centuple en ce monde et la vie éternelle en l'autre, à ceux qui les auront quittés pour suivre le conseil de l'Evangile; nous faisant voir par là le grand empêchement que l'attache à la chair et au sang apporte à la perfection chrétienne. On ne laissera pas pourtant de les aimer, mais ce sera d'un amour spirituel et selon l'esprit de Jésus-Christ.

10. — Tous s'étudieront avec toute la diligence possible à la vertu d'indifférence. que Jésus-Christ et les saints ont tant estimée et si bien pratiquée, en sorte qu'ils n'aient aucune attache ni aux emplois, ni aux personnes, ni aux lieux, particulièrement à leur pays, ni à aucune autre chose semblable; ains qu'ils soient toujours prêts et ponctuels à quitter tout cela de bon cœur, dès que le Supérieur leur aura notifié sa volonté, même par signe; et qu'ils agréent tout refus ou tout changement qu'il trouvera bon de faire. reconnaissance en vue de Dieu, que tout ce qu'il a fait est bien fait.

11. — Pour honorer la vie commune que Notre-Seigneur Jésus-Christ a voulu mener, afin de se conformer aux autres, et ainsi les mieux gagner à Dieu son Père; tous, autant que faire se pourra, garderont en toutes choses l'uniformité, la regardant comme une vertu qui entretient le bon ordre et la sainte union; ils fuiront pareillement la singularité, comme la racine de l'envie et de la division; et cela non seulement à l'égard du vivre, du vêtir, du lit et des autres choses semblables, mais encore pour ce qui est de la manière de diriger, d'enseigner, de prêcher, de gouverner, comme aussi à l'égard des pratiques spirituelles. Or, afin de pouvoir toujours conserver parmi nous cette uniformité, il ne nous faut qu'un seul moyen, à savoir, une très exacte observance de nos Règles ou Constitutions.

12. — Les actes de la charité envers le prochain seront toujours en vigueur parmi nous, comme: 1° de faire aux autres le bien que nous voudrions raisonnablement qu'ils nous fissent; 2° ne jamais contredire personne, et trouver tout bon en Notre-Seigneur; 3° s'entre-supporter les uns les autres sans murmurer; 4° pleurer avec ceux qui pleurent; 5° se réjouir avec ceux qui se réjouissent; 6° se prévenir d'honneur les uns les autres; 7° leur témoigner de l'affection et leur rendre cordialement service; bref, se faire tout à tous pour les gagner tous à Jésus-Christ. Tout cela s'entend, quand il n'y a rien contre les Commandements de Dieu ou de l'Eglise, ni contre nos Règles ou Constitutions.

13. — Si quelquefois la divine Providence permet que la calomnie et la persécution attaquent et exercent la Congrégation, quelqu'une de ses maisons, ou quelque particulier du corps d'icelle, quoique sans sujet, nous nous garderons bien d'user d'aucune vengeance ou malédiction, ou même d'aucune plainte contre tels persécuteurs et calomniateurs; mais au contraire nous en louerons et bénirons Dieu et lui en rendrons grâces, nous en réjouissant comme d'une occasion d'un grand bien, et qui part de la main du Père des lumières; voire même nous prierons Dieu de bon cœur pour eux tous, et leur ferons très volontiers du bien, quand nous en aurons l'occasion et le pouvoir; nous représentant que Jésus-Christ nous l'ordonne comme à tous les autres chrétiens, disant: Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haissent, et priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient. Et afin que nous observions plus aisément et allègrement tout cela, il nous assure qu'en cela nous serons bien heureux, et que nous devons en être bien aises et tressaillir de joie, pour ce qu'il y a pour nous une grande récompense dans le ciel. Et ce qui est plus considérable, il a bien daigné lui-même tout le premier pratiquer cela à l'égard des hommes, afin de nous donner exemple; en quoi l'ont ensuite imité les apôtres, les disciples et une infinité de chrétiens.

14. — Quoique nous devions faire notre possible pour garder toutes ces maximes évangéliques, comme étant très saintes et utiles, y en ayant toutefois entre elles qui nous sont plus propres que les autres, savoir celles qui recommandent spécialement la simplicité, l'humilité, la douceur, la mortification et le zèle des âmes; la Congrégation s'y étudiera d'une manière plus particulière, en sorte que ces cinq vertus soient comme les facultés de l'âme de toute la Congrégation, et que les actions d'un chacun de nous en soient toujours animées.

15. — Et d'autant que Satan tâche toujours de nous détourner de la pratique de ces maximes, en y opposant les siennes toutes contraires; chacun apportera une très grande prudence et vigilance à les combattre fortement et courageusement, surtout celles qui s'opposent le plus à l'esprit de notre Institut, qui sont: 1° la prudence humaine; 2° l'envie de paraître aux yeux des hommes; 3° le désir de faire que chacun se soumette toujours à notre jugement et à notre volonté; 4° la recherche de notre propre satisfaction en toutes choses; 5° l'insensibilité pour la gloire de Dieu, et pour le salut du prochain.

16. — Et d'autant que cet esprit malin se change souvent en ange de lumière, et nous trompe quelquefois par ses illusions, on se gardera bien de s'y laisser surprendre; et sera-t-on soigneux d'apprendre les moyens de les discerner et surmonter. Et l'expérience nous faisant voir que le moyen le plus présent et le plus sur, en ce cas, est de se découvrir promptement à ceux qui sont destinés de Dieu pour cela; dès que quelqu'un aura des pensées suspectes d'illusions, ou quelque peine intérieure, ou tentation notable, il s'en découvrira, le plus tôt qu'il pourra, au Supérieur ou au directeur à ce député, afin qu'il y apporte le remède convenable; lequel chacun recevra et agréera comme venant de la main de Dieu, et s'y soumettra avec confiance et respect. Surtout, il se gardera bien d'en parler à d'autres, soit de la maison, soit de dehors; l'expérience nous faisant voir qu'en se découvrant ainsi à d'autres on empire son mal, qu'on en infecte les autres, et que même cela porte à la fin un grand préjudice à toute la Congrégation .

17. — Et d'autant que Dieu veut que chacun ait soin de son prochain, et qu'étant tous membres d'un même corps mystique, nous devons nous entraider les uns les autres; dès que quelqu'un aura appris qu'un autre souffre quelque forte tentation, ou qu'il a fait quelque faute notable, soudain s'animant de l'esprit de charité, il procurera en la meilleure manière qu'il pourra, que le Supérieur apporte à ces deux maux, dûment et en temps requis, les remèdes convenables. Et afin qu'on puisse mieux s'avancer dans la vertu, chacun trouvera bon et agréera que, dans le même esprit de charité, ses fautes soient découvertes au Supérieur, par qui que ce soit, qui les aura remarquées hors de la confession.

18. — La mission de Jésus-Christ s'étant faite au monde, pour rétablir l'empire de son Père dans les âmes, que l'esprit malin lui avait ravies par l'amour déréglé des richesses, de l'honneur et du plaisir qu'il avait finement répandu dans le cœur des hommes, ce bénin Sauveur jugea qu'il était à propos de combattre son adversaire par des armes contraires, savoir: par la pauvreté, par la chasteté et par l'obéissance, comme il a fait jusqu'à la mort. Et cette petite Congrégation de la Mission, ayant été suscitée en l'Eglise pour s'employer au salut des âmes, principalement du pauvre peuple des champs, elle a pensé qu'elle ne se pouvait servir d'armes meilleures et plus propres que de celles mêmes, dont cette sagesse éternelle s'est servie si heureusement et si avantageusement. C'est pourquoi, tous et chacun de notre Congrégation garderont fidèlement et perpétuellement cette pauvreté, chasteté et obéissance, selon notre Institut. Et afin qu'ils puissent plus sûrement, plus facilement et même avec plus de mérite, persévérer jusqu'à la mort dans la pratique de ces vertus, un chacun tâchera, avec l'aide de Dieu, d'exécuter le plus fidèlement qu'il pourra, ce qui est ordonné sur ce sujet dans les chapitres suivants.

Chapitre III.

 De la Pauvreté

1. — Jésus-Christ, vrai Seigneur de tous les biens du monde, ayant embrassé la pauvreté d'une manière si particulière, qu'il n'avait pas où reposer sa tête, et ayant mis ceux qui l'ont suivi en sa mission, à savoir, ses Apôtres et ses disciples, dans un semblable état de pauvreté, jusqu'au point de n'avoir rien en propre, afin qu'étant ainsi dégagés, ils pussent mieux et plus aisément combattre et vaincre l'esprit des richesses, qui va perdant presque tout le monde; chacun tâchera, selon son petit pouvoir, de l'imiter en la pratique de cette vertu, s'assurant qu'elle sera comme le fort imprenable qui doit, avec l'aide de Dieu, conserver toujours la Congrégation.

2. — Et quoique nos emplois dans les missions, à raison que nous devons les exercer gratuitement, ne nous peuvent permettre que nous fassions profession de pauvreté en toutes les manières, nous essayerons néanmoins de la garder de volonté et d'affection, et, autant que nous le pourrons, d'effet, et principalement à l'égard des choses qui nous sont ici ordonnées.

3.— Tous et un chacun de notre Congrégation, sauront qu'à l'exemple des premiers chrétiens, toutes choses nous seront communes et qu'elles seront distribuées à chacun par les Supérieurs: à savoir la nourriture, le vêtement, les livres et les meubles, et les autres choses selon le besoin de chaque particulier; de peur toutefois que nous fassions quoi que ce soit contre la pauvreté que nous avons embrassée, personne ne pourra disposer de ces biens de la Congrégation, ni en rien employer sans la permission du Supérieur.

4.— De plus, personne n'aura rien, sans que le Supérieur le sache, ou le permette, et qu'il ne soit prêt de quitter incontinent que le même Supérieur le lui aura ordonné, ou même fait signe qu'il le désire.

5.— Personne n'usera d'aucune chose comme propre; ne donnera, ne recevra, ne prêtera, n'empruntera ni ne demandera rien d'ailleurs, sans la licence du Supérieur.

6.— Personne ne prendra rien pour soi de ce qui est destiné à l'usage des autres, ou mis à part pour la Communauté, ou délaissé de quelqu'un, non pas même des livres ; ne donnera non plus aux autres ce qui lui aura été donné pour son usage, sans le consentement du Supérieur. Nul aussi ne laissera, par sa négligence, rien perdre ni rien gâter de tout cela.

7.— Personne ne recherchera les choses superflues ni les curieuses. Et pour ce qui est des nécessaires, chacun règlera si bien ses inclinations en cela, que son vivre, sa chambre et son lit soient accommodés en la manière qui convient à un pauvre, et qu'en ces choses-là, comme en toutes autres, il soit prêt de ressentir quelques effets de la pauvreté, voire même de souffrir de bon cœur qu'on lui donne le pire de tout ce qui est dans la maison.

8.— Et afin qu'on ne voie rien chez nous, qui ressente le moins du monde la propriété, nos chambres ne seront pas tellement fermées qu'on ne les puisse ouvrir par dehors, et il n'y aura point de coffre ni autre chose semblable fermée à clef particulière, sans l'expresse permission du Supérieur.

9.— Nul de ceux qui iront en une autre maison, n'emportera rien de celle d'où il sort, sans la licence du Supérieur.

10.— Et parce qu'on peut pécher contre la vertu de pauvreté, par le seul désir déréglé d'avoir des biens temporels; un chacun se donnera soigneusement de garde, que ce mal ne se saisisse de son cœur, même à l'égard des bénéfices qu'il pourrait rechercher sous couleur de quelque bien spirituel à faire, et partant il n'aspirera pas même à aucun bénéfice, ou dignité ecclésiastique, quelque prétexte qu'il puisse avoir.  

Chapitre IV.

De la Chateté

1.— Le Sauveur du monde a bien montré qu'il avait extrêmement à cœur la chasteté, et combien il désirait la répandre dans les cœurs des hommes. en ce qu'il a voulu passer par-dessus l'ordre qu'il avait établi en la nature, pour naître par l'opération du Saint-Esprit, d'une Vierge immaculée: et il a eu si grande horreur du vice contraire, que, quoiqu'il ait permis qu'on lui ait imputé faussement les crimes les plus énormes, pour être rempli d'opprobres, selon le désir qu'il en avait, on ne lit point, néanmoins, que personne, non pas même ses plus grands ennemis, l'aient jamais accusé, ni même soupçonné de ce vice. Et partant, il importe beaucoup que la Congrégation ait un singulier et très ardent désir de cette vertu, et fasse en tout temps et en tout lieu profession particulière de la pratiquer très parfaitement. Ce que nous devons avoir d'autant plus à cœur, que nos emplois de la Mission nous obligent plus étroitement à converser presque continuellement avec les séculiers de l'un et de l'autre sexe; c'est pourquoi chacun apportera de son côté tout le soin, la diligence et la précaution possible pour conserver entièrement cette chasteté, tant à l'égard du corps, qu'à l'égard de l'âme.

2.— Or, afin qu'avec l'aide de Dieu, on puisse faire tout cela, on gardera très soigneusement ses sens, tant intérieurs qu'extérieurs ; on ne parlera jamais aux femmes seul à seule, en lieu et temps indus. On s'abstiendra entièrement de leur parler et de leur écrire en termes trop affectueux, quoique ce fût en matière de dévotion, on ne s'approchera pas trop d'elles en les confessant, ni en leur parlant hors de la confession; et qu'on se donne bien de garde de présumer de sa chasteté.

3.— Et d'autant que l'intempérance est comme la mère et la nourrice de l'impureté, chacun sera tempéré en son manger, et, autant qu'il pourra, usera de viandes communes et trempera beaucoup son vin.

4.— De plus, nous nous persuaderons tous que ce n'est pas assez aux missionnaires d'exceller en cette vertu, mais qu'il faut encore faire tout notre possible à ce que personne au monde ne puisse soupçonner tant soit peu aucun des Nôtres du vice contraire: parce que ce seul soupçon, quoique très mal fondé, nuirait plus à la Congrégation et à ses saints emplois, que tous les autres crimes qu'on nous pourrait faussement imputer, en ce principalement qu'il ne se recueillerait que peu ou point de fruit de nos missions. Et partant nous ne nous contenterons pas d'user des moyens ordinaires, pour prévenir ou réparer ce mal, mais encore nous y emploierons, si besoin est, les extraordinaires, comme serait entre autres, de s'abstenir parfois de faire des actions, qui seraient d'ailleurs licites, et mêmes bonnes et saintes; cela s'entend, lorsqu'au jugement du Supérieur ou Directeur, ces choses semblent donner lieu de craindre ce soupçon.

5.— Et d'autant que l'oisiveté est la marâtre des vertus, principalement de la chasteté, un chacun fuira tellement ce vice, qu'il puisse être trouvé toujours utilement occupé.

Chapitre V.

De l'obéissance

1.— Pour honorer l'obéissance que Notre-Seigneur Jésus-Christ nous a enseignée de parole et d'exemple, l'ayant bien voulu exercer sur la terre à l'égard de la très sainte Vierge, de saint Joseph, et des autres personnes constituées en dignité, soit bonnes, soit mauvaises; nous obéirons exactement à nos Supérieurs, et à chacun d'eux, les regardant en Notre-Seigneur, et Notre-Seigneur en eux ; principalement à notre Saint-Père le Pape, auquel nous obéirons avec tout le respect, la fidélité et la sincérité possibles. Nous rendrons aussi humblement et fidèlement obéissance, selon notre Institut, à Nosseigneurs les Illustrissimes et Révérendissimes Evêques, dans les diocèses desquels nous sommes établis. De plus. nous n'entreprendrons rien dans les églises paroissiales, sans le consentement de Messieurs les Pasteurs.

2.— Nous obéirons aussi tous au Supérieur général, promptement, gaiement et persévéramment, en toutes choses où l'on ne verra point de péché, et avec une obéissance aveugle et une entière soumission de jugement et de volonté, et cela, non seulement à l'égard de sa volonté signifiée, mais aussi à l'égard de ses intentions, estimant que ce qu'il ordonne est toujours pour le mieux, et nous mettant à sa disposition, comme la lime entre les mains de l'artisan .

3.— Et cette obéissance se rendra pareillement aux autres Supérieurs, tant particuliers que Visiteurs, comme aussi aux officiers subalternes. Chacun tâchera aussi d'obéir au son de la cloche comme à la voix de Jésus-Christ; en sorte qu'au premier coup qu'on entendra, on s'étudie à quitter tout, même la lettre commencée.

4.— Et afin que la Congrégation fasse plus aisément et plus tôt progrès en cette vertu, elle tâchera, selon son possible, d'entretenir toujours en vigueur la sainte pratique de ne rien demander, ni rien refuser. Néanmoins, quand quelqu'un reconnaîtra que quelque chose lui est nuisible ou nécessaire, il pensera devant Dieu, s'il la doit proposer au Supérieur ou non, et se mettra en état d'indifférence pour la réponse qui lui sera faite; et étant ainsi disposé, il la lui proposera, et tiendra pour certain que la volonté de Dieu lui sera signifiée par celle du Supérieur: laquelle lui étant connue, soudain il demeurera en paix.

5.— Tous, aux jours et heures assignés de chaque semaine, se rendront au lieu destiné pour entendre les avertissements que le Supérieur donnera pour le bon ordre de la maison, comme aussi pour lui proposer ce qu'on aura à lui demander.

6.— Personne ne commandera rien aux autres, ni ne les reprendra d'aucun défaut, s'il n'a ordre du Supérieur de le faire, ou s'il n'y est déjà obligé à raison de son office.

7.— Nul ayant été refusé d'un Supérieur, ne s'adressera pour la même chose à un autre Supérieur, sans lui dire comme il en a été refusé, et la cause du refus.

8.— Personne ne laissera l'emploi qu'on lui aura donné, sous prétexte de quelque autre affaire qui lui sera survenue, sans en avoir donné de bonne heure avis à quelqu'un de ses Supérieurs, afin que, si besoin est, il en substitue un autre.

9.— Comme personne ne doit s'ingérer dans l'office ou emploi d'un autre; ainsi quand quelqu'un sera prié par un autre, particulièrement par quelqu'un des officiers, même des moindres, de l'aider en passant, il le fera bénignement, s'il n'y a rien qui l'en empêche. S'il fallait néanmoins s'y arrêter trop longtemps, on ne le fera pas, sans avoir auparavant obtenu la permission du Supérieur.

10.— Personne n'entrera dans le lieu destiné pour l'office d'un autre, sans la permission du Supérieur; si c'est pourtant en choses nécessaires, la licence du préfet du lieu suffira.

11.— Afin d'obvier à plusieurs inconvénients de grande conséquence qui pourraient arriver, nul n'écrira, ni n'enverra, ni n'ouvrira des lettres sans la permission du Supérieur, entre les mains duquel chacun remettra celles qu'il aura écrites, pour les envoyer ou les retenir comme bon lui semblera.

12.— Et afin que l'obéissance contribue aussi pour quelque chose à la santé du corps, personne ne boira ni ne mangera hors les heures accoutumées, sans licence du Supérieur.

13.— Nul n'entrera dans la chambre d'un autre, s'il n'a permission générale ou particulière du Supérieur, et si celui qui est dedans, ne lui dit: entrez ; et quand il y sera, la porte se tiendra ouverte tout le temps qu'ils y demeureront ensemble.

14.— Nul aussi ne mènera les autres, particulièrement les externes, en sa chambre, sans en avoir la licence du même Supérieur.

15.— Personne ne composera ou tournera d'une langue en une autre aucun livre et le mettra en lumière, sans l'expresse approbation et permission du Supérieur général.

16.— Nul de nos Frères coadjuteurs, destinés à l'office de Marthe, n'aspirera à apprendre la langue latine, et encore moins à l'état ecclésiastique. Que si quelqu'un sentait en avoir le désir, il tâchera de l'étouffer promptement, comme venant du malin esprit, qui, possible, le veut perdre par un fin orgueil, caché sous l'apparence du zèle des âmes. Et pour ce qui est d'apprendre à lire ou à écrire, ils ne le feront pas sans expresse licence du Supérieur général.

Chapitre VI.

De ce qui concerne les malades

1.— L'une des choses que Jésus-Christ pratiquait et recommandait plus fréquemment à ceux qu'il envoyait travailler à sa vigne, ayant été la visite et l'assistance des malades, particulièrement des pauvres, la Compagnie aura un soin particulier de les visiter et assister, avec le consentement du Supérieur, non seulement les Nôtres, mais encore ceux du dehors, les secourant corporellement et spirituellement, selon notre possible et commodité, principalement dans les missions; et de plus, prenant un grand soin d'établir et de visiter la Confrérie de la charité.

2.— En quelque lieu qu'on visite quelque malade, soit en la maison, soit chez les externes, on les regardera, non comme un simple homme, mais comme Jésus-Christ même, qui assure que c'est à lui qu'on rend ce service. Et partant, chacun s'y comportera modestement et y parlera bas et de choses qui puissent réjouir et consoler le malade, et ensemble édifier les assistants. Nos malades aussi se persuaderont qu'ils ne sont pas dans l'infirmerie et dans le lit, seulement pour y être médicamentés et guéris, mais aussi pour y enseigner, comme dans une chaire de prédicateur, du moins par leur exemple, les vertus chrétiennes, particulièrement la patience et la conformité au bon plaisir de Dieu; et ainsi édifier tous ceux qui les visiteront ou assisteront; en sorte que leur vertu se perfectionne dans leur infirmité. Et pour ce qu'entre toutes les vertus requises en un malade, l'obéissance est encore fort nécessaire, ils obéiront très exactement, non seulement aux médecins spirituels, mais aussi aux corporels, à l'infirmier, et aux autres qui auront ordre de les assister.

4.— Et afin qu'il ne se glisse aucun abus en ce qui concerne les malades, tous ceux qui se sentiront indisposés, en donneront avis au Supérieur, ou au préfet de santé, ou à l'infirmier; mais personne ne prendra aucune médecine, ou ne se servira de notre médecin, ou n'en consultera quelque autre, sans la permission du Supérieur.

Chapitre VII.

De la Modestie

1.— La modestie de Notre-Seigneur Jésus-Christ était si grande, tant en son visage et en son maintien qu'en son parler, qu'elle attirait les peuples à milliers jusqu'au fond des déserts, pour le voir et pour entendre les paroles de la vie éternelle qui sortaient de sa bouche; en sorte qu'ils s'oubliaient du boire et du manger. C'est aussi en cette aimable vertu que les Missionnaires doivent imiter ce grand Maître, puisque étant obligés par leur Institut de converser ordinairement avec le prochain, ils doivent toujours craindre qu'ils ne viennent détruire, par le mauvais exemple et la moindre immodestie, ce qu'ils auraient fait de bien par l'exercice de leurs fonctions. C'est pourquoi tous s'étudieront diligemment à faire ce que l'Apôtre recommandait aux premiers chrétiens, leur disant: Que votre modestie soit connue à tous les hommes. Or, pour le pouvoir faire comme il faut, on tâchera de pratiquer soigneusement les règles particulières qui en sont données dans la Congrégation, et les suivantes.

2.— Ils se garderont sur toutes choses d'être dissipés de la vue, particulièrement à l'église, à table et dans les actions publiques, et feront en sorte qu'il ne paraisse rien de léger ou de puéril en leur geste ni rien d'affecté et de mondain en leur marcher.

3.— Tous se donneront de garde de se toucher l'un l'autre, même par jeu, si ce n'est lorsqu'il convient de s'embrasser en signe de charité et pour se saluer: savoir est, quand quelqu'un va aux champs ou qu'il en revient, ou est nouvellement reçu en la Congrégation.

4.— Chacun sera soigneux de conserver la netteté, particulièrement en ses habits, et s'abstiendra de toute propreté trop recherchée et affectée.

5.— Chacun tiendra bien net et bien rangé le peu de pauvres meubles qu'il a en sa chambre, laquelle aussi chacun balayera tous les trois jours, et fera son lit tous les matins à son lever; si ce n'est que, pour quelque infirmité ou emploi, le Supérieur n'ait destiné quelqu'un pour le soulager en cela.

6.— Personne ne sortira de sa chambre sans être décemment vêtu.

7.— Et afin que nous puissions plus facilement et plus tôt pratiquer la modestie devant les autres; chacun, étant en son particulier, même tout seul dans sa chambre, tâchera soigneusement de se comporter modestement, faisant attention à la présence de Dieu, et se donnera de garde particulièrement de dormir la nuit sans chemise, ni sans être suffisamment couvert.

Chapitre VIII.

De la conversation entre nous autres

1.— Après que Jésus-Christ, notre Sauveur, eut assemblé ses Apôtres et ses disciples en forme de communauté, il leur donna certains préceptes pour bien vivre ensemble, comme sont de s'entr'aimer les uns les autres, de s'entre-laver les pieds, et si quelqu'un avait quelque chose contre son frère, de se réconcilier au plus tôt avec lui; d'aller deux à deux; et enfin, que si quelqu'un voulait être le plus grand d'entre eux, il fût fait le moindre. Suivant cela, notre petite Congrégation, qui désire suivre les vestiges de Jésus-Christ et de ses disciples, a dû semblablement avoir les règles suivantes, qui concernent la manière de vivre et de converser ensemble comme il faut, lesquelles chacun tâchera de garder le mieux qu'il lui sera possible.

2.— Afin que la charité fraternelle et la sainte union soient toujours parmi nous et qu'elles s'y conservent en toutes les manières, tous agiront les uns avec les autres dans un grand respect, conversant néanmoins toujours ensemble cordialement, ainsi que font les amis intimes entre eux; ils fuiront pourtant diligemment les amitiés particulières, aussi bien que les aversions: l'expérience nous faisant voir que ces deux extrémités vicieuses sont la source des divisions, et la ruine des Congrégations.

3.— Tous porteront un singulier respect à leurs Supérieurs, leur rendant l'honneur qui leur est dû, et se découvriront devant eux; et pendant que les mêmes Supérieurs leur parleront, ils se garderont bien de les interrompre et qui pis est, de leur résister de parole. Tous se découvriront pareillement devant les prêtres; les séminaristes et les écoliers, devant les directeurs et maîtres. Les prêtres aussi tâcheront en Notre-Seigneur de se prévenir d'honneur en cela. De peur, néanmoins, qu'on ne donne occasion d'être dissipé de la vue, ou de l'esprit, quand on est à table, on ne se découvrira point pour qui que ce soit, si ce n'est quand le Supérieur ou quelque externe de condition passera.

4.— Et d'autant que l'Ecriture sainte témoigne qu'il y a temps de parler et temps de se taire, et que le péché ne manquera pas de se rencontrer dans le beaucoup parler, et que d'ailleurs l'expérience journalière fait assez voir qu'il est bien difficile communauté dédiée à Dieu puisse longtemps persévérer dans le bien, s'il n'y a rien de prescrit touchant le parler, ni aucune règle pour le silence; pour cela, chez nous, le silence se gardera, hors les heures de récréation ; de sorte qu'en tout autre temps personne ne parlera sans nécessité, si ce n'est en passant et en peu de paroles, et tout bas, principalement à l'église, à la sacristie, au dortoir et au réfectoire, particulièrement pendant qu'on est à table. Toutefois, si quelqu'un de ceux qui y sont assis, a besoin de quelque chose, celui qui est auprès en pourra dire un mot au servant, s'il ne le peut faire entendre par quelque signe. Et en quelque temps que ce soit qu'on parle, même aux heures destinées pour la récréation, on se gardera toujours de trop hausser la voix, cela pouvant mal édifier tant les Nôtres que les externes.

5.— Personne des Nôtres ne parlera, sans la permission du Supérieur, aux séminaristes, ni aux écoliers, ni aux autres quoique prêtres, qui n'ont pas encore achevé les deux ans depuis la sortie du séminaire, si ce n'est pour les saluer en passant et en un mot, lorsque la charité demande cela de nous.

6.— Pour mieux observer le silence, chacun fera attention le plus qu'il pourra, à ne faire du bruit dans sa chambre, ou allant et venant par la maison, ou même ouvrant et fermant les portes, particulièrement durant la nuit.

7.— Dans nos conversations et récréations ordinaires, nous joindrons si bien la modestie avec la gaieté, qu'autant que faire se pourra, nous mêlions toujours l'utile avec l'agréable, et que nous soyons à édification à un chacun; et afin que nous puissions mettre cela plus facilement en pratique, nos entretiens seront pour l'ordinaire des choses qui concernent la piété ou la science requise aux missionnaires.

8.— Dans ces sortes de conversations entre nous, comme dans les autres auxquelles l'occasion nous porte parfois licitement, nous ferons en sorte qu'entre tous les sujets dont nous pouvons nous entretenir, nous prenions principalement ceux qui nous peuvent exciter à l'amour de notre vocation, et au désir de notre propre perfection, nous y incitant les uns les autres, tantôt louant la vertu comme la dévotion, la mortification, l'obéissance, l'humilité; tantôt prenant courageusement leur parti, mais humblement et suavement, contre ceux qui en parleraient désavantageusement. Que si quelqu'une de ces vertus répugne à notre sens, nous le découvrirons au Supérieur ou au Directeur seulement, et nous nous donnerons bien de garde d'en parler aux autres, ni en public, ni en particulier.

9.— En parlant les uns avec les autres, nous éviterons avec grand soin toute sorte d'opiniâtreté ou de contestation, quoique ce soit par manière de récréation, voire même nous tâcherons en Notre-Seigneur de préférer, autant qu'il se pourra, le sentiment des autres au nôtre en toute chose non illicite. Que si toutefois il arrive que quelqu'un soit d'opinion contraire touchant la chose proposée, il pourra alléguer ses raisons modestement et en esprit d'humilité; mais surtout on se gardera dans la conversation de se piquer ou s'aigrir pour quoi que ce soit, ou de se montrer fâché contre quelqu'un, ou d'offenser personne, soit en paroles, soit en actions, ou en quelque autre façon que ce puisse être.

10.— Tous feront grande conscience de garder le secret, non seulement pour les choses qui regardent la confession ou la direction, mais encore à l'égard de ce qui se fait ou se dit au chapitre touchant les coulpes et les pénitences, comme aussi de toutes les autres choses que les Supérieurs nous défendent de révéler, ou qui d'elles-mêmes requièrent le secret.

11.— Personne ne touchera tant soit peu la réputation des autres, particulièrement des Supérieurs, ni ne murmurera d'eux, ni ne censurera rien de ce qui se fait ou se dit dans notre Congrégation, non plus que de ce qui se passe dans les autres Communautés.

12.— Nul ne s'enquerra curieusement de la conduite de la maison, ni ne s'en entretiendra avec d'autres, ni ne parlera contre les Règles ou Constitutions et saintes pratiques de la Congrégation, soit directement ou indirectement.

13.— Nul ne se plaindra du vivre, ni du vêtir, ni du coucher, ni même ne s'en entretiendra avec d'autres s'il n'y est obligé à raison de son office.

14.— Personne ne parlera en mauvaise part des autres nations ou provinces, vu que souvent il en arrive de grands maux.

15.— Dans les dissensions publiques et guerres qui peuvent arriver entre les princes chrétiens, nul ne témoignera aucune inclination pour l'un ou pour l'autre parti ; pour imiter Jésus-Christ, qui ne voulut point juger les différends du prochain, ni du droit des princes, se contentant seulement de dire qu'il fallait rendre à César ce qui appartenait à César, etc.

16.— Chacun s'abstiendra de parler des choses qui concernent l'Etat ou les royaumes, ou les autres affaires séculières publiques, particulièrement de la guerre, et des différends du temps présent entre les princes, et autres semblables nouvelles du siècle. Et on se gardera même, tant que faire se pourra, d'en écrire quoi que ce soit.

Chapitre IX.

De la conversation avec les externes

1.— Outre les règles que Notre Sauveur donna à ses Apôtres et à ses disciples pour bien converser ensemble, il en ajouta d'autres pour se bien comporter avec le prochain, avec les scribes et les pharisiens, avec les magistrats, lorsqu'ils seraient menés à leurs synagogues et tribunaux, et comment ils agiraient quand ils seraient invités à quelques banquets, et autres semblables. C'est pourquoi, à son exemple, il a été à propos que nous eussions pareillement quelques règles touchant la manière de communiquer avec les externes; nous tâcherons donc de garder fidèlement celles-ci.

2.— Encore que notre Institut nous oblige de traiter souvent avec les séculiers, particulièrement dans les missions, néanmoins nous ne le ferons que quand l'obéissance ou la nécessité nous y appellera; et alors nous nous souviendrons de cette parole que Notre-Seigneur dit: Vous êtes la lumière du monde; c'est-à-dire, que nous devons imiter la lumière du soleil, laquelle éclaire et échauffe, et ne perd rien de sa pureté, quoiqu'elle passe sur des choses sales.

3.— Tous se donneront bien de garde de s'occuper des procès des externes, d'être exécuteurs testamentaires, de trafiquer, de traiter des mariages, et de semblables occupations du siècle, selon ce conseil de l'Apôtre: Celui qui est enrôlé en la milice de Notre-Seigneur ne doit point se mêler des affaires séculières.

4.— Nul ne se chargera même d'affaires de piété, ni ne promettra son aide pour les gérer, ni ne témoignera de l'inclination à s'y employer, sans la licence du Supérieur.

5.— Personne ne parlera dans la maison aux externes ni ne les fera parler a d'autres des Nôtres, sans la permission du Supérieur.

6.— Nul n'invitera à manger ou boire aucun externe, sans la même permission du Supérieur.

7.— Personne ne fera message ou ne portera des lettres ou autres choses semblables d'aucun externe à quelqu'un des Nôtres, ou de quelqu'un des Nôtres à un externe, sans la licence du Supérieur.

8.— Nul ne communiquera aux externes nos Règles ou Constitutions, sans l'expresse permission du Supérieur général ou du Visiteur; on pourra néanmoins montrer ces Règles communes, avec la licence du Supérieur particulier, aux postulants; et ce sur la fin de leurs Exercices spirituels, et quelquefois plus tôt, si devant Dieu il le juge ainsi expédient.

9.— Nul ne rapportera légèrement ou inutilement aux externes ce qu'on a fait, ou ce qu'on doit faire en la maison, ni ne s'entretiendra avec eux des choses dont il ne nous est pas permis de parler entre nous, particulièrement de celles qui regardent l'Etat ou le gouvernement du royaume.

10.— Quand quelqu'un aura eu permission d'aller parler aux externes, il ne s'entretiendra avec eux que de choses nécessaires, ou qui peuvent servir ou à leur salut et édification, ou au sien propre, ou à tous les deux ensemble; en sorte que tant lui que les externes aient sujet d'en être édifiés. Et pour cela, il s'y comportera avec la gravité, la dévotion et la modestie convenables, selon que les circonstances des personnes, des lieux et des temps le requerront.

11.— Personne ne sortira de la maison, sinon comme, quand, et avec qui le Supérieur le jugera à propos, auquel il appartiendra de nommer le compagnon, s'il n'a député quelque autre pour le faire; et celui qui aura été donné pour compagnon donnera le devant à l'autre et le laissera parler.

12.— Quand quelqu'un demandera congé au Supérieur pour aller dehors, il lui déclarera aussi en même temps le lieu et la raison pourquoi il désire, y aller, et aussitôt qu'il sera de retour à la maison, il lui rendra compte de ce qu'il aura fait.

13.— Nul n'entrera ni ne sortira de la maison que par la porte ordinaire, si la nécessité ou la permission du Supérieur ne l'en dispense.

14.— Ceux qui iront dehors, même ceux qui auraient permission de sortir et de rentrer par la porte de derrière, ou par celle de l'église, marqueront leurs noms, et diront au portier à quelle heure ils reviendront, afin qu'il puisse satisfaire ceux qui viendraient les demander; ils ne partiront pas de la maison avant le jour, et y retourneront avant la nuit, et dès qu'ils seront rentrés, ils démarqueront leurs noms.

15.— Personne ne mangera hors la maison, si ce n'est quand on est en voyage, sans la permission du Supérieur.

16.— Nul, en faisant chemin et passant par où il y a quelque maison de la Congrégation, n'ira loger que dans cette maison, et tant qu'il y séjournera, il sera sous l'obéissance de celui qui en a la conduite, et ne fera rien là, que par son avis et direction. La même chose s'observera par celui qui sera venu là pour des affaires.

Chapitre X.

Des Pratiques spirituelles qui son a observer en la Congregation

1.— Notre-Seigneur Jésus-Christ et ses disciples avaient leurs exercices de piété, comme d'aller au temple à certains jours, de se retirer en solitude de temps en temps, de vaquer à l'oraison, et autres semblables. Ainsi, il est bien raisonnable que cette petite Congrégation ait aussi ses pratiques spirituelles, lesquelles nous serons très soigneux d'observer et les préfèrerons même à toutes autres, si la nécessité ou l'obéissance ne nous en dispense, attendu même que ce sont des moyens qui contribuent le plus à l'observance de toutes les autres Règles ou Constitutions, et à notre perfection.

2.— Notre Congrégation étant obligée par la bulle de son érection d'honorer. d'une façon toute particulière, les ineffables mystères de la Très Sainte Trinité et de l'Incarnation, nous tâcherons de nous acquitter de ce devoir avec très grand soin, et, si cela se peut, en toutes manières, mais principalement en faisant ces trois choses: 1° en produisant souvent du fond du cœur des actes de foi et de religion sur ces mystères; 2° en offrant tous les jours à leur honneur quelques prières et bonnes œuvres, et particulièrement en célébrant leurs fêtes avec le plus de solennité et de dévotion qu'il nous sera possible; 3° en nous étudiant soigneusement à faire, soit par nos instructions, soit par nos exemples, que les peuples les connaissent, les honorent, et les aient en grande vénération.

3.— Et d'autant que, pour bien honorer ces mystères, l'on ne saurait donner aucun moyen plus excellent que la due vénération et le bon usage de la sacro-sainte Eucharistie, soit que nous la considérions comme sacrement. soit en tant que sacrifice, vu qu'elle contient en soi comme le précis de tous les autres mystères de notre foi, et que par sa vertu elle sanctifie et enfin glorifie les âmes de ceux qui communient dignement. ou célèbrent avec les dispositions requises, et que par ce moyen on rend à la Sainte Trinité et au Verbe Incarné une très grande gloire; partant, nous n'aurons rien en plus grande recommandation que de rendre à ce sacrement et sacrifice l'honneur qui lui est dû, et même nous emploierons tous nos soins à procurer que tout le monde lui porte même honneur et révérence: ce que nous tâcherons d'accomplir le mieux qu'il nous sera possible, mais particulièrement en empêchant, autant que faire se pourra, qu'on dise ou fasse rien qui le déshonore tant soit peu, et instruisant soigneusement les autres de ce qu'ils doivent croire d'un si haut mystère, et comment ils le doivent honorer.

4.— Et pour ce que la même bulle nous recommande de plus en termes exprès, d'honorer semblablement d'un culte particulier la bienheureuse Vierge Marie, et que nous sommes d'ailleurs et à divers titres obligés à cela, nous tâcherons tous et un chacun de nous acquitter parfaitement, Dieu aidant, de ce devoir, premièrement: en rendant tous les jours, et avec une dévotion particulière, quelque service à cette très Digne Mère de Dieu et la nôtre; 2° en imitant, autant que nous le pourrons, ses vertus, particulièrement son humilité et sa chasteté; 3° en exhortant ardemment les autres, toutes les fois que nous en aurons la commodité et le pouvoir, à ce qu'ils lui rendent toujours un grand honneur, et le service qu'Elle mérite.

5.— Nous aurons un très grand soin de nous bien acquitter de l'office divin, lequel on dira selon le rite de Rome, et en commun, même en mission; mais ce sera à voix médiocre et sans chanter, afin que nous ayons plus de temps et de commodité pour servir le prochain, excepté dans les maisons auxquelles, à raison des fondations ou des ordinands, ou des séminaires externes, ou pour quelque autre semblable nécessité, nous serions obligés au chant grégorien. Mais en quelque lieu ou temps que nous récitions les heures canoniales, nous nous ressouviendrons de la révérence, attention et dévotion que nous y devons apporter, nous qui savons très bien que nous chantons alors les louanges de Dieu, et que par conséquent nous faisons l'office des Anges.

6.— L'une des principales fonctions de nos missions étant d'exhorter les autres à recevoir dignement et souvent les sacrements de Pénitence et de l'Eucharistie, il est bien convenable que nous, à plus forte raison, leur en donnions l'exemple, et même que nous les surpassions de beaucoup en cela. Nous nous étudierons donc à faire très parfaitement l'un et l'autre; et afin que le tout se fasse avec ordre, les prêtres se confesseront deux fois, ou du moins une fois, toutes les semaines, à un des confesseurs de la maison, à ce député, et non à d'autres, sans la permission du Supérieur, et célèbreront la sainte Messe tous les jours, si quelque chose ne les en empêche; et tous les autres qui ne sont pas prêtres, se confesseront tous les samedis et veilles des fêtes principales, à un des susdits confesseurs, si le Supérieur n'en députe quelque autre, et communieront, selon l'avis de leur Directeur, tous les dimanches et fêtes susdites, et entendront tous les jours la sainte Messe.

7.— Ne pouvant pas imiter entièrement Notre-Seigneur Jésus-Christ, en ce qu'il passait les nuits en oraison, outre celles qu'il faisait le jour, nous le ferons néanmoins selon notre petite portée; pour cela, tous et un chacun feront soigneusement tous les jours une heure d'oraison mentale, et, selon la coutume de la Congrégation, en commun et au lieu à ce destiné.

8.— Chacun aura grand soin de ne laisser passer aucun jour, s'il se peut, sans faire une lecture dans quelque livre de piété, selon son propre besoin spirituel, y employant autant de temps que le Supérieur ou le Directeur lui aura prescrit. Outre cela, les prêtres et tous les clercs liront un chapitre du Nouveau Testament, et respecteront ce livre comme la règle de la perfection chrétienne et pour en profiter davantage, cette lecture se fera à genoux, et tête nue, faisant du moins à la fin les trois actes suivants, dont le premier sera d'adorer les vérités contenues dans ce même chapitre; le second, de s'exciter à entrer dans les sentiments, dans lesquels Notre-Seigneur ou les Saints les ont prononcées; le troisième, de se résoudre à la pratique des conseils ou préceptes qui y sont contenus, et à l'imitation des exemples de vertus qu'on y trouve.

9.— Pour avoir une plus claire connaissance de nos défauts, et ainsi, avec l'aide de Dieu, en obtenir la rémission et une plus grande pureté d'âme, tous et un chacun feront tous les jours deux sortes d'examen de conscience, l'un particulier, qui se fera courtement avant le dîner et le souper, sur quelque vertu à acquérir, ou sur quelque vice à déraciner; l'autre général, qui se fera sur toutes les actions de la journée, un peu avant que de se coucher.

10.— Pour honorer la retraite de Jésus-Christ. particulièrement celle de quarante jours dans le désert, tous et un chacun, tant ecclésiastiques que laïques, entrant dans la Compagnie, feront les Exercices spirituels et une confession générale de toute leur vie passée au prêtre que le Supérieur aura député. Ceux qui sont déjà entrés feront les mêmes Exercices avec une autre confession depuis la dernière générale, les séminaristes tous les six mois, et les autres tous les ans.

11.— Et comme à grand'peine quelqu'un peut-il faire progrès en la vertu, sans l'aide d'un directeur spirituel; ainsi, est-il très difficile qu'il parvienne à la perfection qui lui est convenable, s'il ne communique quelquefois comme il faut avec son directeur, de l'état de sa conscience. C'est pourquoi, tous et un chacun feront, avec toute la sincérité et dévotion qu'ils pourront et en la manière dont on a accoutumé d'user en la Congrégation, leur communication intérieure au Supérieur, ou à quelque autre qu'il aura député pour cela, et ce au moins tous les trois mois, principalement au temps qu'ils feront les Exercices spirituels, et toutes les fois que le Supérieur le trouvera à propos.

12.— Tous assisteront diligemment et dévotement aux conférences spirituelles. qui se feront au moins une fois par semaine; lesquelles pour l'ordinaire tendront à nous porter au renoncement de notre propre volonté et de notre propre jugement, à la pratique de faire la volonté de Dieu en toutes choses, à l'union fraternelle, au zèle de notre propre perfection et à notre avancement dans les autres vertus, particulièrement dans celles qui composent l'esprit de la Mission.

13.— Afin qu'en quelque façon, et selon notre petit possible, nous imitions Jésus-Christ en ce qu'il s'est abaissé et ravalé lui-même, et qu'il a voulu être mis au rang des méchants, tous les vendredis chacun dira, en présence des autres, sa coulpe au Supérieur ou à celui qui le représentera, et cela tant à la maison qu'aux missions, et recevra de bon cœur les avertissements et les pénitences qui lui seront donnés. On gardera aussi la sainte pratique de demander au Chapitre d'y être averti publiquement de nos défauts, et pour lors, chacun sera soigneux de faire cet avertissement en esprit d'humilité et de charité.

14.— Davantage, afin d'augmenter plus tôt en nous l'amour de notre propre abjection, et par ce moyen, nous avancer de plus en plus dans la voie de la perfection, nous tâcherons d'embrasser de bon cœur en Notre-Seigneur toutes sortes d'occasions d'humiliation, même hors le Chapitre, et en quelque temps que ce soit qu'elles nous soient présentées; et, partant, lorsqu'à l'issue de l'oraison ou d'une conférence spirituelle, ou de quelque autre action publique, le Supérieur appellera quelqu'un pour être averti de quelque défaut, celui-là se mettra incontinent à genoux, et en esprit d'humilité, et sans dire mot, écoutera volontiers l'avertissement qu'on lui fera. recevra la pénitence qu'on lui donnera et l'accomplira fidèlement.

15.— Encore que les continuels travaux des missionnaires ne leur permettent pas de s'engager par aucune règle à beaucoup de mortifications corporelles et d'austérités, si est-ce néanmoins qu'un chacun en fera très grand état, et s'y portera toujours d'affection, et en pourra même faire selon que la santé et les occupations considérables le lui permettront, à l'exemple de Jésus-Christ et des premiers chrétiens et aussi de plusieurs qui vivent dans le siècle, pleins de l'esprit de pénitence ; nul pourtant n'en fera sans la permission du Supérieur ou du Directeur à ce député, sinon celles qui lui auront été enjointes dans la confession.

16.— Pour honorer en quelque façon la Passion de Jésus-Christ, chacun se contentera, le vendredi de chaque semaine, en la réfection du soir, d'un seul mets, qui sera d'herbes ou légumes, si ce n'est lorsqu'on est en mission ou en voyage.

17.— Le lundi et le mardi après la Quinquagésime, nous ferons abstinence de chair dans la maison, pour honorer Dieu au moins par cette petite mortification, à même temps que la plupart des chrétiens l'offensent grièvement par leurs dissolutions et débauches.

18.— De plus, tous garderont exactement l'ordre de la journée, qu'on a accoutumé d'observer en la Congrégation, soit dans la maison, soit dans les missions, particulièrement à l'égard des heures du lever et du coucher, de l'oraison, de l'office divin et des repas.

19.— Afin que l'âme ait sa nourriture en même temps que le corps reçoit la sienne, on fera toujours la lecture spirituelle dans toutes nos maisons, même dans les missions, durant tout le temps du repas.

20.— On gardera aussi les autres louables coutumes de la Congrégation, comme sont celles-ci: Immédiatement avant que de sortir de la maison, comme aussi après y être rentré, aller à l'église et y saluer Notre-Seigneur au Saint-Sacrement; catéchiser les pauvres, surtout les mendiants, lorsque la commodité s'en présentera, particulièrement en faisant voyage; s'agenouiller en entrant et en sortant des chambres de la maison, pour invoquer Dieu avant notre action, et lui rendre grâces après qu'elle est faite.

21.— Si, outre les pratiques spirituelles qui sont prescrites dans ces règles, quelqu'un en veut encore faire d'autres, il en communiquera avec le Supérieur ou le Directeur, et ne fera rien en cela, que ce qu'ils lui auront permis, de peur qu'en faisant autrement, il ne fasse peut-être sa propre volonté et même celle du diable; et qu'ainsi, en punition de son indiscrétion ou désobéissance en ce point, il ne vienne à être trompé par ce malin esprit sous l'apparence de quelque bien, et qu'enfin il n'encoure quelque dommage en son âme.

Chapitre XI.

Des Missions et autres fonctions de la Congregation envers le prochain

1.— Comme Notre-Seigneur Jésus-Christ donna à ses disciples des règles touchant les missions qu'ils devaient faire, leur ordonnant, entre autres choses, de prier le Maître de la moisson, qu'il envoyât des ouvriers en sa moisson, et leur marquant à quelles nations ils devraient aller, ce qu'ils observeraient par les chemins, en quelles maisons ils logeraient, ce qu'ils prêcheraient, ce qu'ils mangeraient, et enfin, comment ils se gouverneraient à l'égard de ceux qui ne les voudraient pas recevoir; nous aussi qui faisons profession particulière d'imiter. selon notre petit pouvoir, ces mêmes disciples, nous garderons soigneusement les règles suivantes. comme aussi les avis dressés pour nos missionnaires, touchant l'ordre et la manière de se bien comporter dans les missions et dans les autres fonctions de la Congrégation.

2.— Chacun tâchera, dans les occasions, d'aider le prochain de quelques bons avis et instructions pour l'exciter à la pratique des vertus. Nul pourtant ne se chargera de la direction de personne, si ce n'est dans les retraites spirituelles, dans les missions et dans les maisons de la Congrégation, où les Nôtres ont charge d'âmes, ou dans d'autres occasions, lorsqu'ils y auront été appliqués par le Supérieur; mais en tout cela, jamais personne ne donnera par écrit aucune instruction ou règlement de vie, sans la licence et l'approbation du Supérieur.

3.— De peur qu'à bon droit l'on n'objecte à nos Missionnaires ce que dit l'Apôtre: Comment prêcheront-ils, s'ils ne sont envoyés: personne ne prêchera ni ne catéchisera en chaire, sans être approuve pour cela par le Visiteur, et sans y être appliqué par le même Visiteur ou par son Supérieur immédiat. Dans les missions néanmoins, celui qui en sera le Directeur pourra, lorsque devant Dieu il le jugera expédient et qu'il y aura de l'inconvénient d'attendre la réponse du Supérieur, changer pour un temps les prédicateurs et catéchistes, substituant d'autres en leur place, pourvu que, le plus tôt qu'il pourra, il déclare au Supérieur la raison qu'il a eue de faire ce changement.

4.— Comme il n'est pas permis à aucun de nous, d'ouïr les confessions, tant des Nôtres que des externes, s'il n'est approuvé de l'Ordinaire; ainsi, de peur que ceux qui ont cette approbation n'en puissent abuser, il ne leur sera pas licite d'exercer cette fonction, qu'auparavant ils n'aient été désignés pour cela par le Visiteur, et de plus, appliqués par le même Visiteur, ou par le Supérieur particulier.

5.— Ceux qui iront en mission porteront toujours le mandement de Nosseigneurs les Illustrissimes et Révérendissimes Evêques, aux diocèses desquels les missions se feront, et le montreront à Messieurs les Pasteurs ou autres Supérieurs des églises où ils iront; et les missions étant achevées. ils iront, avant que de retourner à la maison, rendre compte à Nosseigneurs les Evêques de ce qu'ils auront fait, s'ils le désirent ainsi. Mais il faudra auparavant en prendre ordre du Supérieur, afin qu'il désigne la personne qui y ira, et la manière qu'on y gardera.

6.— A l'arrivée et à la sortie de la mission, ils demanderont la bénédiction à Messieurs les Pasteurs et, en leur absence, à Messieurs les Vicaires; et ne feront rien d'importance sans le leur avoir communiqué auparavant; et se garderont bien de rien entreprendre contre leur gré.

7.— A l'exemple de saint Paul, qui, pour n'être à charge à personne, travaillait de ses mains nuit et jour pour gagner sa vie et celle de ses compagnons, nous ne serons à charge à personne dans les missions; mais nous y ferons toutes nos fonctions gratuitement, et sans aucune rétribution temporelle, ou nourriture. On pourra néanmoins se servir du logement et des meubles nécessaires qu'on nous offrira.

8.— Encore qu'un chacun doive souhaiter ardemment, et même, quand la chose le requiert, demander humblement d'être appliqué à visiter les malades, ou à accorder ceux qui ont des querelles et des procès particulièrement dans le cours des missions; néanmoins, afin que la charité soit bien ordonnée par l'obéissance, personne n'entreprendra ces sortes d'œuvres de miséricorde, sans la licence du Supérieur.

9.— On usera de grande prudence et circonspection à proposer les doutes sur les cas de conscience, qui se présentent en confession; en sorte qu'on ne puisse jamais conjecturer qui est la personne dont il s'agit. Et pour obvier aux maux qui en pourraient arriver, personne ne proposera les doutes touchant aucun cas de conscience un peu considérable, qu'on aura rencontré en confession, qu'auparavant on n'ait demandé au directeur de la mission s'il trouve bon qu'on le propose.

10.— Le nom de Missionnaires ou de Prêtres de la Mission, que nous n'avons pas pris de nous-mêmes, mais qui nous a été donné par la voix commune des peuples, la divine Providence l'ayant ainsi ordonné, montrant assez, que l'emploi des missions est notre premier et principal exercice, entre tous les autres que nous avons envers le prochain, la Congrégation ne doit jamais les omettre sous prétexte de vaquer à quelque autre œuvre de piété, quoique d'ailleurs plus utile; mais chacun s'y portera de toute son affection, en sorte qu'il soit toujours disposé d'aller en mission toutes les fois que l'obéissance l'y appellera.

11.— Et d'autant que la direction des religieuses ne retarderait pas peu les missions, et les autres fonctions de notre Institut, tous et un chacun s'abstiendront entièrement de les diriger; et personne ne les visitera, ou prêchera chez elles, même dans le cours des missions, s'il n'en a eu auparavant expresse permission, tout au moins du Supérieur particulier; et quoique notre Congrégation soit déjà députée pour conduire les Filles de la communauté de la Charité, selon qu'il est porté par leur institution, néanmoins personne des Nôtres n'en prendra la direction, ni ira chez elles, ni même leur parlera, sans la permission du même Supérieur.

12.— Au reste, tous et chacun de nous sauront que les emplois que nous devons exercer en la maison à l'égard des ecclésiastiques externes, particulièrement des ordinands et des séminaristes comme aussi à l'égard des autres que nous conduisons dans la retraite spirituelle, ne doivent pas, sous prétexte des missions, être négligés: car il faut faire celles-ci, et ne pas omettre les autres: puisque nous sommes presque également obligés par notre Institut, quoique les missions doivent être préférées, à nous acquitter de l'un et de l'autre, toutes les fois que nous y sommes appelés par les Prélats, et par nos Supérieurs; et que d'ailleurs la longue expérience a fait voir qu'il est bien difficile que les fruits qu'on recueille dans les missions, puissent longtemps se conserver sans l'aide des Pasteurs, à la perfection desquels les susdits emplois ne semblent pas peu contribuer. C'est pourquoi un chacun se donnera de bon cœur à Dieu pour les bien et dévotement exercer. Et afin de s'en acquitter plus dignement et plus facilement, il tâchera d'observer exactement les instructions que nos Supérieurs ont accoutumé de donner à cet effet.

Chapitre XII.

 De oueloues moyens et aides propres pour bien et utilement s’acquitter des susdites fonctions

1.— Tout ainsi qu'au commencement de ces Règles ou Constitutions, la Congrégation s'est proposé d'imiter Notre-Seigneur Jésus-Christ en ce qu'il a commencé à faire, et puis à enseigner; de même en ce dernier chapitre, il est nécessaire qu'elle prenne pareillement â tâche de le suivre, en ce qu'il a bien fait toutes choses: car tout ce que nous pourrions faire de bien, s'il n'est bien fait, mérite plutôt châtiment que récompense. C'est pourquoi il a été convenable d'ajouter ici ce peu d'enseignements et de moyens, propres pour bien exercer lesdites fonctions; tous nos missionnaires tâcheront donc de les mettre soigneusement en pratique.

2.— Chacun s'étudiera, autant qu'il pourra, d'avoir en toutes ses actions, et principalement dans les prédications et autres fonctions de la Congrégation, une très pure intention de plaire à Dieu seul, et de la renouveler souvent, particulièrement au commencement de ses actions principales; mais surtout, il se donnera de garde d'y laisser glisser aucun désir de plaire aux hommes, ou de se satisfaire soi-même, ce qui serait capable d'infecter, et de corrompre l'action la plus sainte, selon cette doctrine de Jésus-Christ: Si ton œil est mauvais, ton corps sera ténébreux.

3.— Et d'autant qu'il arrive quelquefois, comme dit l'Apôtre, qu'ayant commencé par l'esprit, nous finissons par la chair: ce qui arrive d'ordinaire, ou quand notre action est suivie d'une vaine complaisance, dont nous nous repaissons, si elle nous a réussi avec applaudissement des hommes; ou quand nous nous trouvons tellement à charge et ennuyeux à nous-mêmes, que nous ne pouvons en aucune façon demeurer en repos, si notre action a eu un succès moins heureux que nous ne l'attendions; partant, nous apporterons tout le soin et la diligence possible pour nous empêcher de tomber en aucun de ces deux défauts. Or, pour remédier au premier, nous nous représenterons cette vérité: que toute la gloire se doit donner à Dieu, et rien à nous, sinon la confusion; de plus, qu'il est fort à craindre que. si nous nous délectons vainement en ces applaudissements, nous n'entendions un jour prononcer contre nous ces paroles de Jésus-Christ: Je vous le dis en vérité, ils ont reçu leur récompense. Et quant au second, le remède sera de recourir soudain à la vraie humilité, et à l'amour de notre propre abjection, que Dieu demande de nous pour lors. Et puis considérer attentivement, que très souvent, de semblables rencontres supportées avec patience il revient à Dieu autant de gloire, et au prochain autant d'utilité. que nous en pourrions espérer des prédications agréables au peuple, et fructueuses en apparence.

4.— Et pour ce que ces deux maux, qui font tant de peine aux prédicateurs,, à savoir, la vaine complaisance, et l'inquiétude déréglée, ont accoutumé aussi de nous assaillir lorsque nous entendons louer ou censurer ces sortes d'actions publiques que nous avons faites; personne ne louera les Nôtres, particulièrement en leur présence, pour les rares talents naturels ou acquis, principalement pour les prédications qu'ils auraient faites éloquemment, et avec applaudissement des hommes; comme au contraire, personne ne reprendra les Nôtres, pour les défauts de science ou d'éloquence, et autres semblables qu'il aurait remarqués dans leurs sermons. Que si quelques-uns avaient besoin ou d'être congratulés, afin de modérer leur timidité, ou d'être avertis, pour réprimer leur vaine complaisance ; ce sera au Supérieur à le faire, ou à députer quelqu'un qui fasse l'un et l'autre prudemment, et en particulier. On pourra néanmoins les louer quelquefois pour des actes d'humilité, de mortification, de simplicité et d'autres semblables vertus, qu'ils auraient produits, même dans les prédications ; pourvu que cela se fasse sobrement, discrètement, en leur absence, et en la vue de Dieu.

5.— Encore que la simplicité, comme la première vertu nécessaire aux missionnaires, et celle qui leur est la plus propre, doive être fidèlement pratiquée par eux en tout temps et en tout lieu; nous la mettrons néanmoins bien plus soigneusement en pratique dans nos missions, principalement quand nous annoncerons la parole de Dieu aux pauvres gens de la campagne, auxquels, comme à des personnes simples, Dieu doit parler par notre bouche. C'est pourquoi le style de nos sermons et catéchismes sera simple, et accommodé à la portée du peuple, et selon la petite méthode, dont la Compagnie s'est servie jusqu'à présent; pour cet effet, chacun s'abstiendra de toute façon de parler molle et affectée; et on ne s'étudiera point à rapporter en la chaire de vérité des pensées curieuses, et trop exquises, et des subtilités inutiles: considérant que Jésus-Christ Notre-Seigneur, et ses disciples, ont prêché tout simplement, et que par ce moyen ils ont recueilli une très ample moisson, et de très grands fruits.

6.— Ceux qui seront appliqués aux séminaires des externes, à la direction des ordinands, aux conférences qu'on fera avec Messieurs les Pasteurs et autres ecclésiastiques, ou en d'autres semblables exercices, useront semblablement de cette façon de parler simple et populaire; et de plus, ils s'étudiront à contribuer de parole et d'exemple, à leur avancement en la piété, aussi bien qu'en la science; mais surtout ils tâcheront de se comporter à leur égard avec toute humilité, douceur, respect et affabilité; et pour ceux qui seront employés à donner les Exercices spirituels, ils observeront aussi, autant qu'il se pourra, les mêmes choses.

7.— D'autant que les opinions nouvelles et particulières nuisent souventes fois et à leurs auteurs, et à leurs sectateurs; tous et chacun se donneront de garde de cette sorte de nouveauté et particularité; au contraire ils se rendront toujours, autant que faire se pourra, uniformes en leur doctrine, en leurs discours et en leurs écrits; en sorte que, selon l'Apôtre, nous puissions en quelque façon avoir tous un même savoir, même sentiment et même discours.

8.— Et parce que la curiosité,  comme dit saint Zénon, fait l'homme criminel, et non pas savant, et que, selon l'Apôtre, la science enfle, lors principalement qu'on néglige le conseil qu'il nous donne, qui est de ne vouloir pas plus savoir qu'il ne faut, mais savoir sobrement; pour cela, tous, mais particulièrement les écoliers, seront continuellement sur leurs gardes, pour empêcher que cette avidité immodérée de savoir ne saisisse insensiblement leurs cœurs ; ils ne laisseront pas néanmoins de vaquer soigneusement à l'étude des choses nécessaires pour se bien acquitter des fonctions d'un missionnaire; pourvu que leur soin principal soit d'apprendre la science des Saints, qui s'enseigne dans l'école de la Croix; en sorte qu'ils ne puissent prêcher sinon Jésus-Christ, à l'exemple du même Apôtre, lequel aussi, écrivant aux Corinthiens, confesse ingénument qu'il n'a pas fait état de rien savoir parmi eux que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié.

9.— Entre toutes les maximes de l'Evangile, nécessaires à ceux qui travaillent en la vigne de Notre-Seigneur, celle-ci nous doit être la plus recommandable, à savoir: que celui qui veut être le plus grand d'entre vous, devienne comme le plus petit et le serviteur des autres:  parce que si jamais la Compagnie venait à manquer de mettre en pratique cette maxime, elle se détruirait entièrement par le ravage que ferait, en peu de temps, le désir désordonné de paraître; lequel se glissant fort facilement dans les esprits qui ont quelque pente naturelle à l'ambition, les porte à plusieurs maux, mais particulièrement à briguer les offices honorables, à concevoir de l'envie contre ceux qui y sont élevés; ou bien à y rechercher leur propre satisfaction, si eux-mêmes y sont établis; si bien qu'étant attirés et trompés par l'éclat spécieux d'un peu de gloire, sur lequel seulement ils arrêtent les yeux, ils ne prennent pas garde au précipice qui est tout proche, et où ils tombent enfin misérablement. Suivant cela, nous n'aurons rien en plus grande recommandation que de fuir ce monstre de la superbe. Que si l'ambition nous a déjà gagné le cœur, il faudra, selon le même conseil de Notre-Seigneur, la chasser incontinent par un acte intérieur d'humilité, par lequel nous tâchions de nous faire petits en la vue de notre abjection, et souhaitions ardemment d'avoir toujours la dernière place. Que si, à raison des offices ou emplois honorables que nous exerçons, nous reconnaissons que nous sommes déjà infectés de cette vaine gloire, le remède à cela sera de demander au plus tôt au Supérieur, avec soumission néanmoins, qu'il nous retire de ces emplois, et qu'il nous applique à quelque ministère vil, selon qu'il le trouvera bon.

10.— Tous aussi auront un grand soin de réprimer les premiers mouvements d'envie qui pourraient provenir de ce que les autres Congrégations surpassent la nôtre en réputation, en faveur auprès des hommes, et en emplois honorables; se persuadant bien assurément, qu'il n'importe par qui Jésus-Christ soit annoncé, pourvu qu'il le soit; et que nous acquérons quelquefois autant ou plus de grâce et de mérite, en nous réjouissant des bonnes œuvres des autres que si nous les faisions nous-mêmes avec notre propre satisfaction, ou avec intention moins parfaite. C'est pourquoi, chacun tâchera de se revêtir de l'esprit de Moïse, lequel étant prié d'empêcher certains qui se mêlaient de prophétiser, s'écria: Oui est-ce qui fera en sorte que tout le peuple prophétise, et que le Seigneur leur donne son esprit?  En outre, nous estimerons toutes les autres Congrégations beaucoup plus dignes d'honneur que la nôtre, encore que nous lui devions porter une plus cordiale affection, comme un enfant de bon naturel aime mieux sa mère, quoique pauvre et mal faite, que toutes les autres bien que considérables pour leur richesses et pour leur beauté ; tous sauront néanmoins que cet amour tendre regarde seulement les personnes, les vertus et la grâce de notre Congrégation, et non pas ce qui s'y trouve de délectable, ou qui attire l'applaudissement ou l'éclat aux yeux des hommes: vu que c'est cela même que nous devons faire profession particulière de haïr et de fuir, non seulement un chacun pour ce qui le touche, mais aussi pour ce qui concerne toute la Congrégation; en sorte que nous ne désirions pas même qu'elle soit considérée des hommes, et qu'on lui applaudisse, mais plutôt qu'elle soit humiliée, cachée en Notre-Seigneur; nous ressouvenant que c'est ce grain de moutarde, qui ne peut croître, ni fructifier, s'il n'est semé et caché sous la terre.

11. —Tous se donneront pareillement de garde de deux autres vices, qui ne sont pas moins opposés à l'Institut de la Mission, qu'ils le sont entre eux; et d'autant plus dangereux, qu'ils paraissent moins l'être, en ce qu'ils se déguisent si bien, et si imperceptiblement, qu'on les prend souvent pour de véritables vertus : et ce sont l'esprit de paresse et le zèle indiscret. Le premier se glissant peu à peu dans notre esprit, sous prétexte de la discrétion que nous sommes obligés d'avoir pour la conservation de notre corps, afin d'en être plus propres à servir Dieu, et à aider les âmes, nous porte à rechercher les commodités du corps, et à fuir le travail qui accompagne la vertu; lequel il nous représente à cet effet beaucoup plus grand qu'il n'est en vérité, pour nous faire paraître odieuse celle qui de soi mérite toujours d'être aimée d'un chacun, et ainsi nous faire encourir la malédiction que le Saint-Esprit fulmine contre telle sorte d'ouvriers, qui font l'œuvre de Dieu négligemment, ou frauduleusement. L'autre, au contraire. cachant notre amour-propre ou notre indignation, nous porte à une trop grande rigueur, soit à l'égard des pécheurs, soit à l'égard de nous-mêmes, ou bien à entreprendre du travail par-dessus nos forces ou même contre l'obéissance, au préjudice de la santé du corps et de l'esprit, afin de nous embarrasser par après à rechercher des remèdes avec empressement, et par ce moyen nous rendre lâches et sensuels; partant nous tâcherons tous, autant que nous le pourrons, de nous éloigner de ces deux extrémités, et de tenir toujours le milieu, lequel nous trouverons sans doute dans l'exacte observance de nos Règles ou Constitutions bien entendues, et sur les lèvres de ceux qui sont les gardiens de la science, ès mains desquels, par une spéciale providence de Dieu, nos âmes sont commises; pourvu qu'avec humilité et confiance nous recherchions la loi de leur bouche, toutes les fois qu'il en sera besoin, et que nous soyons en toute manière et parfaitement soumis à leur direction.

12.— Surtout nous nous ressouviendrons, qu'encore qu'il faille qu'en tout temps nous soyons bien pourvus des vertus qui composent l'esprit de la Mission, il est expédient néanmoins que nous le soyons plus particulièrement lorsque le temps est venu d'exercer nos fonctions à la campagne; et alors nous les devons considérer comme les cinq belles petites pierres de David, avec lesquelles nous frapperons si bien, même du premier coup, le Goliath infernal, que nous le vaincrons entièrement, au nom du Seigneur des armées, et assujettirons au service de Dieu les Philistins, c'est-à-dire les pécheurs; pourvu toutefois, qu'auparavant nous déposions les armes de Saül, et que nous nous servions de la fronde du même David: c'est-à-dire, si, à l'exemple de saint Paul, nous allons annoncer l'Evangile, non pas avec les discours persuasifs et relevés de la sagesse humaine, mais avec la doctrine, qui fait voir l'esprit et la vertu de Dieu, sans nous soucier beaucoup si notre style est bas, et nos paroles grossières : nous ressouvenant que, si, au dire du même Apôtre, Dieu a choisi les choses faibles, folles et méprisables. pour confondre et détruire par icelles les sages de ce siècle et tout ce qu'il y a de plus fort, il y a sujet d'espérer, que lui-même nous donnera la grâce, par sa bonté infinie, quoique nous soyons de très indignes ouvriers, de coopérer avec lui, selon notre petite capacité, au salut des âmes, particulièrement des pauvres gens des champs.

13.— Tous auront une singulière estime et amour pour nos Règles et Constitutions, même pour celles qui sembleraient petites, les regardant toutes comme des moyens que Dieu même nous a donnés pour acquérir la perfection convenable à notre vocation, et par conséquent pour opérer plus facilement et plus avantageusement le salut de notre âme. C'est pourquoi tous concevront souvent de fervents et généreux désirs de les garder fidèlement. Que si, par aventure, il y en a quelques-unes qui répugnent à notre esprit, et à notre sentiment, nous tâcherons soudain de nous surmonter en cela, et de vaincre notre nature; nous représentant, selon les paroles de Jésus-Christ : que le royaume des Cieux souffre violence, et que ce sont ceux qui se font force qui le ravissent.

14.— Et afin que ces Règles ou Constitutions communes, comme aussi les particulières qui concernent l'office d'un chacun, s'impriment mieux dans la mémoire et dans l'esprit, et par ainsi s'observent plus exactement; tous les auront, et les liront ou entendront lire du moins tous les trois mois, et tâcheront d'en avoir une vraie intelligence; et pour les défauts qu'ils auront commis à l'encontre, ils en demanderont quelquefois dans l'année humblement pénitence au Supérieur, afin que par cette humiliation ils obtiennent de Dieu plus facilement le pardon de tels défauts et prennent de nouvelles forces pour n'y plus retomber à l'avenir; joint que la fidélité qu'ils pratiqueront en faisant cela, sera un témoignage de celle qu'ils auront apportée à garder ces mêmes Règles ou Constitutions, et une marque du désir qu'ils ont de leur propre perfection. Que si quelqu'un trouve avoir fait quelque progrès en l'observance d'icelles, il en remerciera Notre-Seigneur Jésus-Christ, et le suppliera de lui donner et à toute la Congrégation la grâce de les observer encore mieux à l'avenir. Après tout il faut que nous nous persuadions fermement que, selon les paroles de Jésus-Christ, quand nous aurons accompli toutes les choses qui nous sont ordonnées, nous devons dire, que nous sommes des serviteurs inutiles ; que nous avons fait ce que nous devions faire; et même, que sans lui nous n'eussions pu rien faire.

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